Akon
À Dakar, Mor Thiam est un musicien de jazz réputé, un percussionniste, qui enseigne à son fils Aliaune, né le 30 avril 1973, les rudiments de tous les instruments qui lui passent entre les mains.
En moins de deux ans, Akon Lighting Africa a créé une dynamique sans précédent en faveur de l’électricité en Afrique. Preuve de cette prise de conscience collective : à Paris, les partenaires institutionnels et privés se bousculent pour faire avancer le travail de terrain qui s’est construit depuis février 2014. Au départ, c’est une histoire d’amitié dont les protagonistes veulent investir en Afrique. Ils sont trois : d’abord, Alioune Badara Thiam, artiste américano-sénégalais plus connu sous le nom d’Akon et ses tubes planétaires. Ensuite, Thione Niang, originaire lui aussi de Kaolack au Sénégal, arrivé aux États-Unis avec vingt dollars en poche, et maintenant acteur majeur de la société civile américaine. Enfin, moins connu, Samba Bathily, homme d’affaires malien qui intervient dans le financement de projets d’infrastructures. À eux trois, ils décident de monter l’initiative Akon Lighting Africa, qui vise à distribuer de l’électricité grâce à l’énergie solaire dans les zones les plus reculées d’Afrique. Les chiffres sont de leur côté. 622 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, il faut trouver une source plus accessible et moins chère. Le solaire est l’énergie propre la moins chère du marché. Il est disponible toute l’année sur le continent. Pari réussi : à travers leur société Solektra International, ils ont construit un nouveau modèle économique basé sur le préfinancement. Loin des grandes capitales internationales et du concept de philanthropie qui domine, les trois associés ont choisi le travail de longue haleine sur le terrain. Après une tournée dans près de quinze pays en 2015, ils passent à une étape plus large en facilitant par exemple l’accès à l’eau grâce aux systèmes de pompage solaire, en favorisant la création de Smartschools dans les pays installés. Ils lancent une académie du solaire, la Solektra Academy, pour permettre aux Africains de devenir les acteurs de leur propre développement en formant la relève de demain. L’annonce dès l’ouverture de la COP21 du lancement d’une alliance mondiale pour le solaire, menée par l’Inde et la France, vient conforter leur choix pour le solaire. Comment ce fils d’artistes sénégalais, s’y est-il pris pour opérer ce tour de force ? Le Point Afrique a recueilli sa vision du projet sur le long terme et ses ambitions pour un continent qu’il semble ne jamais avoir quitté.
Le Point Afrique : Quand et pourquoi avez-vous décidé d’investir en Afrique ?
Akon : Il n’y a pas vraiment eu de date précise ou de déclic particulier. Pour moi, c’était tout juste naturel. Je ne pouvais pas vivre aux États-Unis, mener la vie que j’ai, créer des opportunités d’affaires sur place et ne pas penser à l’Afrique. Tout ce que j’ai créé aux États-Unis a un sens en termes de business, car cela se fait dans un cadre adapté et en constante évolution. Mais cela fait encore plus sens si, en tant qu’Africain, je crée des opportunités de croissance en Afrique. Si je participe au développement du continent africain. C’est pour moi plus qu’une opportunité, puisqu’il s’agit de participer à la création d’une Afrique nouvelle. Et forcément, c’est aussi un héritage que je veux laisser pour l’avenir : celui de quelqu’un dont on se souvient pour sa musique et son art mais aussi pour avoir concrètement aidé son continent à croître.
Pourquoi l’énergie, précisément, et pas un autre secteur ?
Sans énergie, on ne peut rien faire. Nous savons que l’Afrique ne se développe pas assez vite à cause du manque d’électricité, principalement. Plusieurs régions en Afrique n’ont pas accès à l’électricité et ne peuvent donc pas se développer. Sans développement, c’est tout l’avenir qui est remis en cause. En commençant par l’électricité, on permet aux autres secteurs d’exister, voire de se pérenniser.
Quel est le modèle économique derrière l’initiative Akon Lighting Africa ?
Notre but avec Akon Lighting Africa est d’apporter l’électricité à tous les Africains. L’électricité peut permettre aux Africains de devenir les acteurs de leur propre développement. C’est une réponse concrète à la crise énergétique du continent. Avec un objectif clair : électrifier les villages africains par une solution solaire innovante, propre et accessible. Nous commençons par les villages situés hors des réseaux électriques, car c’est là où sont les premières victimes du désert énergétique. Dans les années à venir, nous allons aussi nous adresser aux villes très isolées, loin des capitales. Nous savons que l’avenir de l’Afrique passe par l’électricité, donc nous voulons nous positionner dès maintenant comme un leader sur le terrain dans les énergies renouvelables en faveur de la croissance du continent. Avec l’ambition de trouver les solutions les plus innovantes en matière d’équipements et de sources d’énergie. Parce que nous souhaitons que l’Afrique se développe encore plus vite que dans le passé.
Quel est le rôle de Solektra international dans la structure ?
Solektra International est notre société. Elle se spécialise dans la fourniture de matériel solaire. Car nous ne faisons pas de l’humanitaire, ou de la philanthropie. Nous sommes une entreprise à part entière dont la finalité est de créer des emplois pour les Africains. Nous faisons usage des partenariats public-privé pour financer et mettre en place les projets. Ceux-ci comprennent des partenariats avec le secteur privé, des investisseurs locaux et étrangers, les gouvernements africains et les organisations de la société civile. Notre business model consiste à répartir le risque, en échelonnant les remboursements. Le préfinancement avec les banques locales et les banques internationales facilite l’accès au financement des États africains, ce qui faisait défaut jusqu’à présent. Le mécanisme des lignes de crédit à l’export ou de crédit fournisseur donne des garanties par des banques locales et des banques du pays dans lesquelles nous opérons. Ils peuvent être utilisés pour l’installation immédiate des équipements, et les États conviennent ensuite d’un échéancier de remboursements correspondant à leurs moyens.
Qu’attendez-vous de la COP21 qui se tient à Paris ?
À Paris, nous sommes venus pour nouer des contacts qui peuvent faire aboutir nos projets en Afrique. Nous rencontrons toutes les personnes qui peuvent comprendre le projet, qui peuvent accompagner Akon Lighting Africa dans une étape supérieure. La majorité des acteurs du secteur ont compris notre objectif et nos ambitions. Maintenant, il s’agit d’aller plus loin, que ce soit avec les institutions, la Banque africaine de développement, qui a aussi souhaité prendre part à notre développement, c’est une opportunité pour nous de mieux faire entendre nos messages. Nous sommes très ouverts, aux entreprises du secteur privé aussi.
Espérez-vous obtenir plus d’investissements pour développer l’énergie solaire ?
Oui, absolument, je pense personnellement que le solaire représente l’avenir du continent. Parce que nous avons le soleil en permanence, nous devons tirer avantage de cette ressource naturelle pour créer de l’énergie. C’est un don de la nature qui peut permettre au continent africain d’éviter de faire les mêmes erreurs que les pays développés. Nous avons une ressource inépuisable à notre disposition. L’Afrique sera au coeur du développement stratégique de toutes les énergies renouvelables, j’en suis convaincu.
Quel est l’avenir de cette source d’énergie ?
Le solaire est l’énergie propre la plus accessible actuellement, rapidement, je veux dire. Quand nous aurons accéléré le développement du continent par ce biais, nous pourrons avoir assez d’imagination pour mieux appréhender l’exploitation des autres sources d’énergies renouvelables.
Vous inaugurez dans quelques jours une Académie du solaire au Mali, quel est son objectif ?
C’est une véritable université spécialisée dans le solaire. Nous identifions les personnes avec lesquelles nous pouvons travailler, qu’elles soient de la diaspora, des populations locales ou étrangères, du moment qu’elles peuvent apporter leurs connaissances du secteur solaire et nous permettre de les mettre au service des Africains… Cela nous permet de mobiliser des savoir-faire pour qu’à leur tour les formateurs transmettent aux élèves les bonnes méthodes, pour réparer et entretenir le matériel que nous fournissons. Les enseignants viennent du monde entier, dans un premier temps, mais ensuite nous allons avoir assez de ressources humaines africaines pour aussi favoriser l’éclosion d’un tissu économique et éducatif. C’est dire que c’est aussi une formidable réponse au chômage des jeunes, en Afrique.

C’est une Académie uniquement pour les Africains ?
Oui, pour toute l’Afrique, même si la première académie va s’ouvrir au Mali.
Qui sont vos partenaires dans ce projet ?
Nous avons bâti cette université avec nos fonds propres. L’objectif suivant sera de générer assez d’argent avec notre société Solektra International pour ouvrir d’autres académies dans d’autres pays. Nous avons le soutien des gouvernements, mais nous ne sollicitons pas d’argent de leurs parts. Mais si certains veulent le faire, ils sont les bienvenus. Tous les gouvernements d’Afrique nous accueillent à bras ouverts, mais le partenariat public-privé fonctionne mieux dans ce type de projets. Nous comprenons bien sûr que le gouvernement se sente concerné par ces initiatives, en faveur de l’éducation des jeunes.

D’après vous, quel regard les Afro-américains portent-ils sur l’Afrique ?
Personnellement, je trouve qu’il y a un fossé qui est dû à l’incompréhension. Je ne pense pas qu’il faut blâmer les Afro-américains pour cette situation, car aux États-Unis, il n’y a pas vraiment d’études sur l’histoire de l’Afrique. La majorité des informations qu’on nous montre parle de misère, de guerre, de famine. Donc, ça ne donne pas une image positive du continent africain. On doit avoir plus de leçons sur l’histoire et les Afro-américains doivent vraiment faire l’effort de connaître l’Afrique, d’y passer les vacances, de visiter, ne serait-ce que par curiosité. Mais il va falloir attendre longtemps avant que ça ne change. Parce qu’à l’heure actuelle, leur représentation de l’Afrique n’est pas bonne. Ils ont une fausse image du continent et ils ont peur. Une chose que j’ai réalisée est que notre regard change à partir du moment où on connaît notre histoire. C’est quelque chose qui prendra du temps.
Comment avez-vous réussi à garder des liens aussi forts avec votre pays, le Sénégal ?
Pour moi, il n’y a pas vraiment eu de séparation. Je suis un Africain, né aux États-Unis. Mes parents, ainsi que toute ma famille se trouve en Afrique. À la maison, nous parlions wolof et français, mais j’ai un peu perdu en m’installant en Amérique. Mon père a toujours pris soin que nous n’ayons pas de problème d’immigration. Donc, être aux États-Unis a été un avantage pour moi parce que j’ai eu accès à l’éducation, aux technologies, à la liberté. Et donc ça a été plus facile pour moi de m’adapter à la culture américaine, sans oublier ma culture africaine. J’ai donc une double culture, américaine, mais aussi sénégalaise, et africaine.
Source:Le Point Afrique